Encore aujourd’hui, la poésie est traversée par un imaginaire qui doit énormément à la Grèce antique: la lyre, la harpe ou encore l’inspiration prodiguée par les Muses peuplent notre inconscient1. Or, il ne faudrait pas penser que l’idée d’une inspiration divine nous provient de la Grèce: selon Jacqueline Assaël, inspiration et divinité sont un couple qui dépasse le monde occidental (Assaël, 2006), laissant présumer un lien viscéral entre le souffle de la parole (le langage) et la respiration (fonction vitale); entre vie et langage donc. En effet, je pense qu’il faut nécessairement passer par une explication qui part du corps humain pour pouvoir expliquer un lien mental qui traverse les cultures. Même si cette association n’est pas exclusive aux Grecs, il demeure pertinent d’observer comment elle s’articule dans leur système religieux. Pour eux, il existe un lien fondamental entre l’inspiration et les Muses, le tout au sein d’une performance devant un certain nombre de personnes. On peut observer, dans l’Illiade et l'Odyssée2, mais aussi dans de nombreux poèmes, des appels aux Muses en début de texte. Il ne faudrait pas penser que ce soit là de « simples formules » (Boyancé, 1937); au contraire, nous le verrons, ces appels sont lourds de sens et possèdent diverses fonctions. L’objectif de ma recherche était d’essayer de comprendre, dans les grandes lignes, la portée spirituelle de la performance poétique du temps d’Homère à Platon. Ainsi, pour le présent travail, je vais commencer par quelques constats sur le contexte général en Grèce antique, avant de poursuivre avec les inévitables définitions et conclure sur la transcendance poétique.
La division entre le religieux et le monde civique, division chère à nos sociétés occidentales contemporaines, avec à preuve la laïcisation de l’État, n'est pas une idée répandue en Grèce antique. D’emblée, le terme de religion n’existe pas: les Grecs parlent plutôt de piété, du culte, et du sacré (Pierenne-Delforge, 2017; Thornhill Polard et Adkins, s.d.). Si le terme religieux n’est pas idéal puisqu’il n’existait pas pour leurs contemporains, il permet cependant de faire un pont entre notre conception du phénomène et celle des Grecs (Pierenne-Delforge, 2018). L’absence du terme religieux est explicable par le fait que le religieux « infuse » la vie des Grecs. Peur eux, même la pensée rationnelle (logos) et mythologique (mythos) ne sont pas tant séparée (Pierenne-Delforge, 2017): les philosophes antiques font appel aux divinités au sein de leur texte, et les mythes et les mœurs religieuses occupent une place prépondérante dans l’unité culturelle grecque. En effet, cette unité est d’autant plus importante considérant l’aspect fractionné de l’exercice du pouvoir en diverses cités-États. À un certain point, on a déjà dénombré jusqu’à 1 000 cités en Grèce antique! Et d’une cité à une autre, un Grec pouvait être considéré comme un « étranger ». Malgré les différences locales, le fond commun religieux en Grèce transcende les cités, offrant un « air de famille » pour reprendre les mots de Pierenne-Delforge3. Ainsi, dans ce contexte politique particulier, on comprend l’importance des mythes pour les Grecs; la religion revête autant une importance culturelle et unificatrice, politique que proprement religieuse. Par conséquent, non seulement on ne peut appliquer l’anachronisme de la pensée civique concurrente à la pensée mythologique, elles vont même de pair. Comme le disent Festugière et Lévêque: « une cité, c’est entre autres un groupe qui honore les mêmes dieux et pratique les mêmes cultes. » (Festugière et Lévêque, s.d.). Le religieux est donc au cœur de l’identité de la cité, au point où les personnes remettant en cause les dieux pouvaient être rejetées (Thornhill Polard et Adkins, s.d.). Pensons par exemple à Socrate, qui fut condamné à mort pour impiété. De plus, l’historienne Vinciane Pierenne-Delforge explique, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, qu’elle préfère utiliser le terme de suprahumain au lieu de surnaturel pour aborder la religion en Grèce antique, et ce, afin de bien saisir que les divinités ne sont pas séparées du monde humain. Le terme surnaturel implique que les divinités sont au-delà de la nature, alors que pour les Grecs, les dieux font plutôt partie d’un continuum d’avec leur réalité: ils se démarquent par leur perfection, mais ne sont pas radicalement différents des êtres humains. En conclusion, c’est dans ce contexte social profondément imprégné du religieux, ou du « sacré » pourrions-nous dire, qu’il faudra concevoir la performance poétique en Grèce antique, performance qu’on ne peut soustraire de son contexte, au risque de la dénaturer.
Le rapport à la mémoire change énormément d’une société à l’autre, en raison notamment du contexte technologique qui l’accompagne. Les Grecs utilisaient comme livres les peu pratiques volumen, genre de rouleau défilant de gauche à droite. En fait, ils accordaient une bien plus grande place à l’oralité: la Grèce antique est d’abord et avant tout une culture qui repose sur l’oralité, où la maîtrise dynamique des différents éléments et leur mobilisation lors d’un discours étaient plus valorisées que des écrits « inactifs ». Au sein de cette culture qui nous est étrangère, il importe de préciser le rôle du poète. Le poète, duquel l’étymologie du nom renvoi au verbe faire (Cavarero, 2002), est considéré comme un savant, car il organise des discours signifiants et maîtrise la langue (Desclos, 2019; Calame, 2019). Le poète pourrait nous apparaître ainsi à nous, comme philosophe ou médecin dans le sens où des traités de médecine ont été composés par des « poètes » de la même manière que des textes rationnels ont été exprimés en vers. En vrai, mon travail se penche plus précisément sur l’aède, mot qui étymologiquement renvoi au chant (Cavarero, 2002) et donc, à la performance orale de la poésie en Grèce antique. Je me permets toutefois d’utiliser poète au sein du présent travail, qui permet de faire un pont entre notre conception de la poésie et la poésie lyrique telle que chantée par les aèdes. Ainsi donc, puisque la poésie est prise au sens large chez les Grecs, elle est liée à l’apprentissage (Calame, 2019), et évidemment, cela inclut aussi la poésie lyrique. Dernier point que j’aimerais aborder quant au rapport à la mémoire: le savoir, alethia, est en Grèce antique à opposer à l’oubli, lethe (Lada-Richards, 2002), le tout sur fond mythologique. En fait, littéralement, alethia veut dire vérité (Rouillé, 2004). Le savoir que composent et transmettent les poètes est par conséquent garant d’une certaine mémoire, d’autant plus que les Muses qui, nous le verrons, sont inspiratrices des poètes, sont filles de Mnémosyne, déesse de la mémoire (BnF, 2006); savoir et inspiration entretiennent des forts liens (Murray, 2013). Nous verrons aussi que la mémoire est sacrée pour les Grecs, notamment en raison, on l’a vu, de leur contexte sociopolitique particulier, mais aussi puisque la Grèce antique repose sur une culture de l’oralité; c’est-à-dire que la mémoire collective repose non pas sur des archives écrites, mais bien sur des mythes dynamiques et évolutifs. À ce point, la « littérature » telle que nous la concevons n’existe pas chez les Grecs, qui n’ont pas de mots pour décrire à la fois une représentation théâtrale, un texte de philosophie en prose et l’Odyssée4. Ainsi, il semble tout naturel que le poète revête à son tour, par ricochet, une importance particulière qui sera détaillée dans la dernière partie.
Les définitions sont un incontournable des travaux en sciences humaines, puisqu’elles permettent de délimiter les concepts manipulés lors de la réflexion. Cependant, je me bornerai à faire un tour d’horizon de quelques conceptions qui existaient chez les Grecs de l’époque en lien avec notre sujet, permettant un genre de « mappage mental » loin d’être exhaustif.
Plusieurs concepts gravitent autour de l’inspiration: l’enthousiasme, les Muses, la Vérité, le souffle (pneuma), les démons (daîmon), la technique (tecknè) et la musique (Museika) notamment. Il nous faut donc débroussailler ce terrain afin d’y voir un peu plus clair. Comme mentionné précédemment, la conception religieuse des Grecs s’inscrivait plutôt dans une sorte de continuum d’avec le monde humain que dans une relation scindée. Vernant nous renseigne sur cette relation:
« Bien des phénomènes d’ordre, à nos yeux, psychologique peuvent ainsi faire l’objet d’un culte. Dans le cadre d’une pensée religieuse, ils apparaissent sous forme de puissances sacrées, dépassant l’homme et le débordant alors même qu’il en éprouve au-dedans de lui la présence. » (Vernant, 1996)
Dans cet ordre d’idées, l’inspiration est quant à elle représentée par les Muses: elles ne sont pas tant des divinités clairement identifiées et identifiables que la représentation sous forme divine de l’inspiration. Les Muses se situent à cheval entre une formalité créatrice (nous dirions aujourd’hui « littéraire ») et un appel religieux au sein d’une performance poétique (Murray, 2002). Si elles sont neuf, il faut attendre la Théogonie d’Hésiode pour qu’elles soient nommées (Britannica, s. d.); aussi les poètes invoquent-ils la Muse autant que les Muses. L’art des Muses dépasse largement la poésie lyrique et incluait tout aussi bien la musique au sens large (Murray, 2002). Seulement, le poète lyrique possède un statut particulier, puisqu’il recevait une inspiration des Muses qui lui permettait de se connecter à un temps spécial qui, comme nous le verrons, affecte aussi son rapport à la mémoire. Pour le moment, il faut seulement garder en tête que le poète lyrique possède à la fois une inspiration et une technique (tecknè), savoir-faire sans lequel il lui serait impossible de structurer l’inspiration divine. En effet, inspiration et technique vont de pair (Vicaire, 1963; Perceau, 2017; Assaël, 2006; Briand, 2018; Brisson, s. d.) et s’alimentent mutuellement.
Au risque de me répéter, le poète n’est pas un écrivain comme nous le concevons, mais bien un chanteur qui performe sa poésie. Une fois sous le coup de l’inspiration, mettant en action son savoir-faire, le poète se caractérise physiquement d’abord et avant tout comme une voix. Cette voix nous renvoie encore une fois à la musicalité de l’art des Muses, mais pourrait bien mettre de l’avant l’aspect « messager » du poète plutôt que l’aspect « créateur » (Cavarero, 2002). En outre, cette voix nous ramène au souffle (pneuma), concept important chez les Grecs. Pour eux, les poumons sont le lieu de l’intellect, de la volonté et des émotions (Lincoln, 2007); puisque le souffle physique est intimement lié une signification plus profonde (Vallance, 2016). Dans l’imaginaire grec, l’imbrication entre souffle et inspiration est exemplifiée par la Pythie, qui devait respirer des vapeurs montant du sol et des plantes brûlées pour laisser entrer en elle les dieux (Kristeva, 2017; Vernière, 1990). D’ailleurs, certains chercheurs ont rapproché poète et prophète, mais j’y reviendrais pour la prochaine partie. L’autre lieu naturel du souffle est le ventre, et cela est illustré dans la Théogonie d’Hésiode5, lorsque les Muses s’expriment en ces termes: « Pâtres, qui passez les nuits dans les champs, opprobres des êtres qui n’êtes que des ventres » (Hésiode et Bergougnan, s. d.). Le poète ne serait donc qu’un récipient, qu’un ventre, mais cela n’empêche pas son rôle actif dans la composition, ce qui pousse Murray à qualifier le poète de « récipient actif » (Murray, 2013). Pour rappel, puisque cela a déjà été abordé au début du texte, le poète est à prendre au sens large en Grèce antique, et le présent travail se penche plutôt sur le poète lyrique, ou l’aède (celui qui chante, l’incarnation vocale des Muses). À ce propos, les Muses possèdent un statut ambigu, puisqu’elles sont parfois considérées comme des démones (Boyancé cité dans Vernière, 1990) ou bien comme des divinités. Le rôle des démons (daîmon) n’est pas identique à notre conception chrétienne des démons. Les démons en Grèce antique ne sont pas des êtres maléfiques, mais plutôt des êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes, puisque les dieux n’interviennent pas directement dans la réalité (Vernière, 1990). La conception des démons change évidemment grandement à travers les siècles, ou même de Démocrite à Platon. Pour Platon, les démons sont des conseillers, genre de voix individuelles alors que pour Démocrite, les démons sont caractérisés par une explication « scientifique »: présents dans l’air, ils enverraient le souffle divin qui ne serait nul autre que l’inspiration (Vicaire, 1963). Toujours selon Démocrite, les démons peuvent induire une possession appelée enthousiasme (Vicaire, 1963) (dérivé de l’adjectif ενθους, qui veut dire « inspiré par les dieux » (CNRTL,2012)) et pour terminer avec les démons, il est intéressant de noter que les poètes pouvaient être considérés comme malades (Vicaire, 1963) alors même qu’on sait que les malades pouvaient être considérés comme possédés par des démons (Arbesmann, 2021). L’enthousiasme s’avère, peut-être en raison de Platon6, un concept largement commenté par les chercheurs. Si les avis sont partagés quant à une possession au sens stricte du terme, il en ressort du moins que l’expérience n’est pas « violente » et n’implique pas de perte de contrôle, du moins jusqu’à Platon (Perceau, 2017; Vicaire, 1963; Briand, 2018; Brisson, s. d.). Aussi, comme vu plus haut, la vérité n’est pas à comprendre selon notre conception factuelle et scientifique, mais bien dans l’optique du pseudoaristotélicien (Lada-Richards, 2002); c’est-à-dire que ce qui est vrai est bien formulé, et permet de contrer un certain oubli. Dans cette optique, la performance poétique délivrée par le poète et garantie par les Muses est marquée du sceau de la vérité.
Avant d’aborder la section principale de mon travail, il me semblait important de noter au passage que certains chercheurs, comme Lada-Richards, Assaël ou Suárez de la Torre ont rapproché les prophètes ou le mysticisme des poètes. Ce rapprochement n’est pas de l’avis de tous, Brisson nuance par exemple que le poète, contrairement au prophète, ne « voit » pas littéralement les évènements qu’il raconte (Brisson, s. d.) et l’idée que la vue n’est pas importante pour le poète est aussi corroborée par Cavarero (Cavarero, 2002). La différence aussi existe en ce que les poètes travaillent activement le discours qui leur est transmis, et ça serait cette technique qui les différencierait des prophètes (Assaël, 2006). Outre ces nuances, il y a tout de même plusieurs rapprochements possibles. Il est selon moi logique qu’il y ait eu un rapprochement entre prophète et poète, puisque dans les deux cas, il s’agit d’une connexion avec le suprahumain qui se concrétise dans la voix. De plus, dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un groupe hermétique (d’où l’aspect mystique), dans le sens où ne devient pas prophète/poète qui veut. Ce que soulèvent les auteurs susmentionnés qui appellent à ce rapprochement est principalement un rapport au temps différent. Dans la Théogonie par exemple, il est écrit que « Les Muses [chantent] ce qui est, ce qui sera et ce qui fut » (Hésiode et Bergougnan, s. d.), et ce passage est abondamment cité pour illustrer que le poète s’élève au-dessus du présent pour englober un temps total, cyclique, espèce « [d’]“omniscience” de type divinatoire » (Vernant, 1996). Il y a aussi la valeur particulière de la musique pour les Grecs, qui est directement reliée à la notion d’harmonie. Comme l’a écrit Assaël à ce sujet: « dans les mythes grecs, l’avènement de divinités musiciennes consacre l’harmonie du cosmos, et la découverte du chant sublimise la condition humaine » (Assaël, 2006). Les Muses possèdent donc des symboliques fortes associées à la vertu universelle et purificatrice de la musique (Boyancé, 1937). Cette dimension de la musique quasi ontologique, doublée du temps cyclique auquel connectent les Muses, illustre que les poèmes sont bien plus que de simples histoires chantées: le poète porte dans sa performance, dans son chant, une chape symbolique lourde pour laquelle il n’est pas indifférent, tout comme le prophète se prononce en sachant que ses oracles revêtiront une réelle importance pour la communauté. Le poète joue un rôle dans une transcendance collective qui s’articule selon plusieurs axes sous l’égide de l’harmonie. C’est cet aspect que nous aborderons dans cette dernière partie.
Si certains chercheurs ont questionné l’authenticité religieuse des poètes lors de leur performance, notamment en ce qui trait à l’appel aux Muses (Laird, 2002; Spentzou, 20027), il suffit de regarder la société qui nous intéresse dans son ensemble pour comprendre que de telles critiques sont inconséquentes. S’il est vrai qu’on ne peut avoir l’assurance sur l’authenticité religieuse des individus, il en va autrement du groupe pris dans son ensemble:
« La grande poésie lyrique des Grecs tirait son caractère propre de ses origines religieuses. Accompagnée de musique et de danses, elle avait sa place normale dans les cérémonies cultuelles, dans les processions et dans les chœurs d’actions de grâces. On n’a peut-être pas toujours suffisamment insisté […] sur sa signification religieuse profonde. Dans ses Odes chantées aux fêtes solennelles, comment imaginer pourtant que les mots n’aient pas été chargés, eux aussi, des sentiments religieux qui animaient les choreutes et les spectateurs? » (Defradas, 1957)
Cette citation de Defradas permet non seulement d’entrevoir la poésie dans son contexte religieux, mais elle met de l’avant que son aspect performatif est aussi musical et « scénique » dirions-nous aujourd’hui. Ainsi, même si le poète n’était pas sincèrement religieux, si encore une telle chose peut se mesurer, son discours, sa voix et les autres arts qui l’accompagnaient rendaient cette expérience artistique « totale8 » chargée de signification religieuse. C’est dans cette double dynamique de religiosité et de performance qu’on peut comprendre l’appel fait aux Muses par les poètes: cet appel dessert deux fonctions, une dramatique et une autre thaumaturgique qui augmente la « présence » des Muses pour l’auditoire (Laird, 2002). Il permet aussi de valider l’autorité du poète, de lui donner un sceau de vérité, d’authenticité (Laird, 2002; Vicaire, 1963)9. Dans cette performance, la mémoire joue un rôle plus qu’important, puisque le poète doit improviser, non pas ex nihilo, mais à partir du fond religieux (Festugière et Lévêque, s. d.), qui sert d’inépuisable matrice, un peu à la manière des lieux communs investis par la comedia del arte10 (quelques siècles plus tard en Italie). Le poète entretient un lien privilégié avec la mémoire, ou dirions-nous aujourd’hui, avec un imaginaire collectif imprégné du religieux, non seulement puisqu’il connaît les mythes (il est dépositaire de la mémoire sociale (Hartog, s. d.)), mais aussi parce qu’il les perpétue en les structurant lors de sa performance, les rendant opératoires pour un public. Par opératoire, j’entends qu’un mythe non versifié conté par une personne lambda n’aura pas la même valeur que lors d’une performance avec des instruments, des danseurs et un versificateur. De la même manière où se faire raconter un film sentimental par une personne atone et le visionner au cinéma sont deux expériences aux antipodes, où seule l’une des deux aura le « pouvoir » d’arracher quelques larmes; c’est ainsi qu’il faut entendre « opératoire ». Cet aspect opératoire est possible tant grâce à la ritualité qu’à l’expérience artistique de la performance. Avec une telle « charge » sur ses épaules, on comprend par conséquent que l’appel aux Muses sert aussi à donner confiance au poète, qui doit capter l’attention et composer en présence des spectateurs un discours qui leur sera adapté (Brisson, s. d.). À ce titre, comme le souligne Brisson:
« Composition et interprétation d’une œuvre […] sont indissociables. On compose en interprétant ; on interprète ce que l’on est en train de composer ; et, sans public, composition et interprétation n’ont plus aucune raison d’être. » (Brisson, s. d.)
C’est aussi au sein de cette performance seulement que l’on peut saisir la transcendance collective, qui s’articule à plusieurs niveaux. La poésie grecque n’existe que parce qu’il y a un poète près de son public, avec qui il connecte, et qui ensemble se fondent dans un univers religieux peuplé de dieux et de héros appartenant à un passé transcendantal. À propos de cette transcendance, deux visions s’opposent. D’un côté, Lada-Richards propose que le poète ne fait pas que témoigner d’un passé révolu, il le rend présent, concret, réel. Qu’au sein de sa performance, cet univers existe (Lada-Richards, 2002). D’un autre côté, Vernant propose que la performance éloigne du présent et du monde visible, pour découvrir un passé « cosmologique » imbriqué dans les « profondeurs de l’être » (Vernant, 1996). Peut-être qu’en seconde analyse, on pourrait découvrir que ces deux visions ne sont pas tant séparées qu’à première vue, puisque Lada-Richards ne parle pas d’une réalité concrète comme celle que nous expérimentons empiriquement, mais bien d’une réalité dans et par la performance poétique. Ce qui est certain, c’est que le passé revête pour les Grecs une valeur mythologique et donc, sacrée.
En effet, pour les Grecs, le passé ne fait ni plus ni moins partie du suprahumain (Vernant, 1996)11, ce qui redouble, encore une fois, l’importance des poètes qui peuvent, à travers la fiction, manipuler le temps comme un matériau de création. Cela leur permet dès lors d’inscrire les évènements qu’ils chantent dans une atemporalité ou transtemporalité (Suárez de la Torre, 1990); les poètes ont le pouvoir d’organiser le monde des héros et des Dieux (Vernant, 1996), ce qui n’est pas peu de chose. Je me permets de rappeler aussi l’importance culturelle des mythes dans un contexte politique fractionné par les cités-États. La mémoire prodiguée par les Muses permet au poète et à l’auditoire de dépasser leur condition individuelle pour rejoindre le divin, un temps originel, héroïque (Vernant, 1996; BnF, 2006); et Vicaire va même jusqu’à affirmer que cette mémoire favorisée par la divinité pourrait être confondue pour la divinité elle-même (Vicaire, 1963) lors de la performance poétique. Assurément, à tout le moins, il devait y avoir une dimension spirituelle forte associée avec la transcendance que permettent les poètes à l’auditoire en les reconnectant à un passé spécial, qui n’est certainement pas un passé historique, progressiste ou factuel tel que nous l’entendons:
« En remontant jusqu’[au passé], la remémoration cherche non à situer les évènements dans un cadre temporel, mais à atteindre le fond de l’être, à découvrir l’originel, la réalité primordiale dont est issu le cosmos et qui permet de comprendre le devenir dans son ensemble. » (Vernant, 1996)
En situant son discours en dehors du temps, le poète chante l’ontologie des êtres et du monde, et peut développer l’agentivité des auditeurs, en leur donnant un cadre spirituel de compréhension. La poésie grecque n’est pas à prendre en compte comme des histoires sans queue ni tête, et surtout, sans but réel et effectif: « fondamentalement, la question de la puissance de la poésie s’inscrit […] dans un examen des rapports qui s’établissent entre le réel et la parole » (Assël, 2006). Dans ce contexte, il importe de voir l’impact concret que pouvait avoir la poésie sur une communauté, en quoi elle pouvait affecter l’action des individus qui la composent. Pour ce faire, je m’en remettrai principalement à un texte de Pindare, qui illustre bien l’importance que pouvait revêtir l’art des Muses pour les Grecs:
« Cette antique vertu des siècles passés, Thrasybule nous en donne aujourd’hui le touchant exemple: il marche dans le sentier que lui a tracé son père et le dispute en magnificence à son oncle Théron. Avec quelle modération jouit-il de ses richesses ! Formé à la sagesse dans le sanctuaire des Muses, jamais il ne permit à l’injustice ni à l’aveugle prévention d’égarer un instant son cœur. Comme sa jeune ardeur se plaît à tes nobles exercices, Neptune, toi dont le trident ébranle la terre et qui appris aux mortels l’art de dompter les coursiers ! Enfin son caractère aimable et bienveillant fait la joie de ses amis, et, dans les festins, ses paroles coulent avec la douceur du miel que distille l’industrieuse abeille. » (Pindare et Perrault-Maynand, 1838)
Dans cet extrait, on peut voir que la personne élevée par les Muses est en harmonie tant avec les dieux (« Comme sa jeune ardeur se plaît à tes nobles exercices, Neptune ») qu’avec les humains ( « Enfin son caractère aimable et bienveillant fait la joie de ses amis »). C’est aussi une idée que l’on peut retrouver chez Hésiode, qui dans sa Théogonie décrit que le fils d’un roi sous l’égide des Muses est sollicité pour ses faveurs: « on quête sa faveur comme celle d’un dieu » (Hésiode et Bergougnan, s. d.). Ainsi, la personne qui suit le chemin des Muses devient en accord tant avec les siens qu’avec les dieux, et c’est le poète qui transmet les messages et les enseignements des dieux. À l’image de Thrasybule, le poète est un médiateur entre les dieux et les êtres humains, il consolide leur lien par le liant de l’imaginaire collectif qu’il active lors de sa performance. Le poète, et les dieux à travers lui, est porteur d’un message de tempérance, de modération et de concorde. Non seulement ce rapprochement s’opère dans le contenu du message, mais aussi par la forme: les beaux chants plaisent tant aux dieux qu’aux Grecs12, créant de fait une communauté par leur structure selon Desclos (Desclos, 2019). Finalement, pour résumer,
« En Grèce classique […], c’est par le rappel d’un passé dans un espace partagé avec les dieux et par différents modes de la parole poétique dans sa force rituelle présente que l’on tente d’orienter aussi bien le développement de la communauté que le futur des individus. » (Calame, 2006)
Les poètes possèdent donc un rôle social, religieux et même un rôle de guide pour la communauté. J’ajouterai aussi à cette citation que cet espace partagé avec les dieux l’est aussi des auditeurs du poète; le poète est un véritable liant social et religieux puisqu’il relie les êtres humains aux divinités.
Ce travail fut assez difficile à mener, puisqu’il me sembla être un puits sans fond: chaque concept en entraînait un autre, chaque idée en voilait deux supplémentaires, et les chercheurs ne s’entendaient pas tous. Mais cela rend compte selon moi de la richesse du sujet, qui est loin d’avoir livré tous ses secrets. C’est une situation typique des sciences humaines, puisque les interprétations se renouvèlent au gré des conceptions changeantes de l’humanité. L’histoire n’y échappe pas plus, puisqu’elle n’est pas un bloc monolithique, mais bien des histoires que nous nous contons. Ou pour reprendre les mots de Pierenne-Delforge paraphrasant Paul Veyne: « L’histoire n’existe que par rapport aux questions que nous lui posons » (Pierenne-Delforge, 2017). Ce travail comprenait plusieurs limites, premièrement puisque je n’ai pas une formation sur la Grèce antique, et ensuite parce que je ne parle même pas la langue grecque et que j’ai dû m’en remettre à des traductions de textes antiques. Malgré tout, nous avons pu identifier certains points structurants à travers cet enchevêtrement de sens et de concepts qui nous sont étrangers. Premièrement, le fait que l’inspiration et la technique allaient de pair semble un point consensuel pour les chercheurs. Ainsi, il ne faudrait pas accréditer l’idée selon laquelle les poètes étaient dépossédés, subissant des transes violentes. Ils vivaient une « douce » transe et leur intervention active était requise pour la composition. Deuxièmement, la composition et l’interprétation sont essentielles pour la performance: il ne s’agissait en aucun cas d’un texte appris par cœur. Le poète devait adapter sa performance à l’auditoire, et capter son attention. Et comme toute représentation artistique, il devait y avoir des performances plus ou moins bien réussies. Troisièmement, on ne peut pas penser que la composition poétique était détachée, du moins complètement, d’une pensée religieuse. Certes, on ne peut savoir si intimement les individus étaient « réellement » croyants, mais il en va de même pour tout mouvement religieux: certains y adhèrent avec une foi sincère, d’autres pour l’importance culturelle ou encore pour un cadre idéologique/conceptuel. Ce qui est certain, c’est que la société grecque dans son ensemble est hors de tout doute religieuse, et que la performance poétique pouvait prendre lieu lors de certains rites et cultes. Cela étant dit, pour les Grecs, le passé fait partie du champ suprahumain, et le poète entretient un lien particulier avec la mémoire sociale et ce passé, qu’on pourrait dire poétique ou héroïque. Finalement, le poète porte tant dans le fond que dans la forme un message d’harmonie pour les dieux et pour les Grecs. Les dieux sont aises d’entendre de belles mélodies et les poètes chanter leur nom, et de voir que les êtres humains vivent dans l’harmonie et le respect de leurs édits, alors que les êtres humains se plaisent aussi à entendre ces mêmes mélodies, et à vivre en concorde les uns avec les autres. Chanter des vers n’a donc jamais été un acte banal en Grèce antique, et on pourrait même avancer que les poètes portaient un poids social, un genre de devoir de mémoire et d’orientation collective.
Je terminerai avec une pensée sur les Muses, puisque ce lien entre le passé suprahumain et le poète passait par ces divinités. Symbolisant l’inspiration, filles de la mémoire, les Muses étaient, plus qu’une aide, une condition sine qua non de la composition poétique. En témoigne une des versions du mythe de Thamrysis, qui pour avoir défié les Muses fut dépossédé de son talent (Murray, 2002). Les Muses furent réinvesties durant les siècles par plusieurs poètes, et cette souplesse aurait été possible qu’en raison du phénomène « intangible » qu’elles personnifiaient (Kuhn-Treichel, 2020), à savoir l’inspiration. Plus que de simples formules artistiques, elles témoignent d’une société ou l’être humain s’abaisse avec humilité devant des phénomènes qui le dépasse, incluant ceux qui résident à l’intérieur de son être. Peut-être cela pourrait-il nous donner à réfléchir, nous qui croyons parfois à tort avoir dompté par une science empirique et froide à la fois la nature et les esprits.
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On peut par exemple penser à Lamartine, un poète français du 19e siècle, qui, à plus de mille ans de distance des Grecs antiques, continue de mobiliser cet imaginaire:
« Musique intérieure, ineffable harmonie,/ Harpe que j’entendais résonner dans les airs/ Comme un écho lointain des célestes concerts,/ Pendant qu’il en est temps, pendant qu’il vibre encore,/ Venez, venez bercer ce cœur qui vous implore!/ Et toi qui donnes l’âme à mon luth inspiré,/ Esprit capricieux, viens, prélude à ton gré! » (Lamartine, 1860)
Début de l’Illiade: « Chante, Déesse [la Muse est invoquée comme Déesse], la colère du Péléide Achille, pernicieuse colère qui valut aux Achéens d’innombrables malheurs », etc. (Homère et Meunier, 2016). Début de l’Odyssée: « C’est l’Homme aux mille tours, Muse, qu’il faut me dire, Celui qui tant erra quand, de Troade, il eut pillé la ville sainte », etc. (Homère et Bérard, 2015). ↩
Pour les informations relatives au contexte général, voir la leçon inaugurale de Vinciane Pierenne-Delforge au Collège de France en 2017. ↩
La littérature vient du latin litterae, qui signifie lettre (CNRTL, 2012). Alors qu’Aristote mentionne que ce que nous appelons littérature se distingue par la voix (Aristote, Chiron et Pellegrin, 2014). Un terme qui unifierait les trois types de discours mentionnés n’existait pas du moins d’Homère à Aristote, puisque ce dernier écrit que « quant à l’art qui n’utilise que le langage, en prose ou en vers […], il n’a pas reçu de nom jusqu’à ce jour: nous n’avons pas de terme commun qui pourrait s’appliquer aux mimes de Sofron ou de Xénarque et aux dialogues socratiques » (Aristote, Chiron et Pellegrin, 2014). ↩
Voir l’hyperlien dans la médiagraphie pour une lecture exhaustive. ↩
Platon affirme dans Ion que la possession par les dieux est violente. Or, c’est une caractéristique remise en question au sein même de son dialogue, lorsque son interlocuteur, Ion, rétorque: « Je serais pourtant bien surpris si tu parlais bien au point d’arriver à me convaincre que je suis possédé et que je suis fou quand je fais l’éloge d’Homère » (Platon, Brisson et Canto-Sperber, 2011). ↩
Spentzou propose une sécularisation graduelle des Muses, en opposition avec une pensée civique. ↩
On peut parler d’art total puisqu’il s’agit d’une expérience « multimédia ». C’est d’ailleurs dans une tentative de copier ce type d’expérience de la Grèce antique qu’est né l’opéra lors de la renaissance (Bovet, 2020). ↩
Comme dit précédemment, c’est Ismene Lada-Richards qui avance l’idée de percevoir la vérité à travers le concept du pseudo aristotélicien; plus précisément, cette remarque s’applique à la fameuse phrase des Muses de la Théogonie d’Hésiode « nous savons dire beaucoup de contes imaginaires, semblables à la vérité » (Hésiode et Bergougnan, s. d.). Ainsi, les fictions ont aussi valeur de vérité, dans le sens où ils sont vraisemblables et racontent des généralités et non des particularités, des idées avancées par Aristote dans sa Poétique (Aristote, Chiron et Pellegrin, 2014). ↩
Les comédiens de la comedia del arte improvisaient une histoire, mais à l’aide de patrons, d’une « banque » de stéréotypes et de situations prédéfinies (Bovet, 2018).↩
Le terme suprahumain étant emprunté à Vinciane Pierenne-Delforge comme nous l’avons vu. Vernant indique plus précisément que le passé fait partie du surnaturel. ↩
« Les Muses, […] par leurs chants élogieux, réjouissent le grand esprit de Zeus, dans l’intérieur de l’Olympe, unissant leurs voix pour chanter ce qui est, ce qui sera et ce qui fut. » (Hésiode et Bergougnan, s. d.) ↩